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Grâce à ta box, tu peux découvrir trois chapitres exclusifs, ainsi que le premier chapitre d’un spin-off encore totalement secret.
Je t’invite à les lire seulement si tu as terminé Damnés, afin de garder toute l’émotion de l’histoire intacte.
C’est un petit morceau de mon univers que je partage uniquement avec toi.
Pour préserver cette expérience spéciale, merci de ne pas partager le lien ou le contenu.
C’est un cadeau que je te fais, à toi qui soutiens ce projet… et j’aime l’idée que ça reste juste entre nous.
Je te souhaite une très belle lecture. 🤍
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67
Lorsque Gabriel et moi réapparaissons dans l’appartement, tout est exactement comme je l’ai laissé une semaine plus tôt ; pourtant, même si rien n’a changé autour de moi, quelque chose en moi a profondément basculé. Je me sens différente, plus ancrée, plus connectée au moindre battement de mon cœur, consciente de chaque respiration qui glisse désormais dans mes poumons avec une fluidité presque irréelle, débarrassée de cette fatigue chronique qui avait collé à mes épaules pendant tant d’années. Et malgré cette transformation intérieure, malgré cette immortalité nouvelle qui pulse dans mes veines, je reste moi, avec mes forces, mes failles, et désormais ce pouvoir de traqueuse de démons qui me fait à la fois trembler et vaciller.
Cette pensée me terrifie, non pas parce qu’elle me dépasse, mais parce que j’ai peur qu’il ne m’accepte pas telle que je suis devenue, qu’il se détourne de ce changement invisible mais pourtant bien réel, qu’il voie avant tout la part de moi qui appartient désormais à cette « secte » qu’il déteste tant. Et même si je sais qu’il m’aime, même si je sais qu’il s’est inquiété, je ne peux m’empêcher de craindre que cette évolution, aussi indispensable fut-elle pour passer l’éternité à ses côtés, ne crée une fracture entre nous.
Mon meilleur ami, à qui je ne peux rien cacher, perçoit mon inquiétude. Gabriel me regarde en silence, toujours attentif, présent sans être envahissant, et je vois dans son expression qu’il comprend ce que je traverse, qu’il sait qu’une nouvelle peur me submerge. Alors, sans bouger d’abord, il se rapproche et m’attire dans ses bras. Il me serre contre lui avec une force douce, solide, qui me rassure immédiatement.
— Je suis heureux de savoir que je ne te perdrai plus jamais, dit-il contre ma tempe.
Il y a une joie simple dans sa voix, une sincérité que je connais bien.
Je ferme les yeux un instant, humant son parfum de patchouli qui ne le quitte jamais.
— Et lui aussi est heureux. Même s’il ne l’avouera jamais comme moi je viens de le faire.
ma gorge.
— Et s’il avait changé d’avis…
— Ne t’inquiète pas, dit-il doucement. Va le voir.
Je me détache de son corps pour mieux le regarder.
Bien qu’il m’ait certifié à plusieurs reprises qu’il ne pouvait pas avoir de sentiments amoureux envers une autre personne, je lui souhaite un jour de ressentir ce que moi je ressens pour son grand frère. Après tout, j’ai réussi à changer le Diable en personne, alors rien n’est impossible. Il n’a peut-être tout simplement pas encore trouvé la bonne personne qui le ferait chavirer.
— Merci d’être entré dans ma vie.
Son sourire s’élargit. Il baisse légèrement la tête, comme s’il tentait de cacher la façon dont mes mots l’atteignent, puis il relève les yeux vers moi avec cette douceur qui lui est propre.
— Et merci à toi d’être restée dans la mienne, dit-il simplement, sans chercher à rendre la phrase plus belle qu’elle ne l’est déjà.
Il glisse une mèche de mes cheveux derrière mon oreille, un geste discret, presque fraternel, mais chargé d’une affection profonde.
— Tu seras toujours importante pour moi, Fallon. Tu ne seras jamais seule dans ce que tu deviens. Et si tu te sens perdue, je serai toujours là. Comme avant. Que ce soit maintenant ou dans mille ans. Quoiqu’il advienne.
Je réalise alors que notre amitié n’a plus de date de fin. Qu’il sera là. Pour toujours.
Et ça me bouleverse.
— Je sais, dis-je simplement, les yeux humides. Quoiqu’il advienne.
Gabriel dépose un baiser léger sur mon front, puis disparaît dans un éclat de lumière.
Sans réfléchir davantage, je longe le couloir pour le retrouver.
Même si la peur qu’il me repousse me noue le ventre, je n’ai qu’une seule envie : le voir. Ces jours passés loin de lui ont été une torture de chaque instant.
Je pousse la porte du bureau sans frapper.
Lucifer est là, assis sur l’arête de son bureau, les épaules rigides, comme s’il retenait quelque chose depuis trop longtemps. Quand il relève enfin la tête, son regard accroche le mien avec une force qui me coupe le souffle. Il ne dit rien, il ne bouge pas, mais cette immobilité est tellement chargée que j’ai l’impression que la pièce entière se contracte autour de nous.
Une inquiétude fulgurante me traverse.
Et s’il voyait d’abord en moi ce que je suis devenue, plutôt que celle que j’étais ?
Et s’il avait du mal à m’accepter ?
Et s’il réalisait qu’il n’avait pas envie d’aimer une immortelle, une traqueuse, une femme appartenant à la fameuse « secte » qu’il déteste autant ?
Cette peur me frappe au ventre et me cloue sur place. Je sens ma main trembler contre la poignée que je viens de lâcher. J’hésite, incapable d’avancer, persuadée un instant que tout peut s’écrouler entre nous.
Lucifer ne bouge toujours pas, mais son regard, lui, est en mouvement, traversé d’émotions trop fortes pour être contenues.
La tension dans sa mâchoire me fait comprendre qu’il lutte.
Qu’il se retient… de moi, avant de finir par céder.
Il avance, d’abord d’un pas, puis d’un autre, puis un troisième un peu plus rapide, comme si quelque chose en lui venait de rompre et qu’il refusait désormais la moindre seconde de distance.
Lorsqu’il arrive devant moi, il lève la main sans hésiter et la pose sur ma joue, sa paume chaude contre ma peau, son autre main glissant avec assurance dans le creux de mes reins pour me ramener contre lui.
La proximité est immédiate, totale, presque violente dans son intensité, et je sens sa respiration, courte, retenue, presque douloureuse. Cette tension physique entre nous est si forte qu’elle me fait vibrer jusque dans les os.
Il me regarde droit dans les yeux, longuement, comme s’il tentait de retrouver quelque chose en moi, quelque chose qu’il craint d’avoir perdu. Son souffle effleure mes lèvres, et je sens mon propre cœur trébucher.
— Fallon… murmure-t-il enfin, sa voix plus rauque que je ne l’ai jamais entendue.
Mes yeux se brouillent. Je voudrais parler, mais rien ne sort.
La peur, toujours là, remonte et me serre la gorge.
— J’ai peut-être changée mais je reste la même, débité-je avant qu’il n’ajoute quoique ce soit.
Sa main sur ma joue se resserre légèrement, comme si mes mots le heurtaient.
Il cligne des yeux, une ombre de douleur traversant son regard.
— Je sais, répond-il, sans chercher à atténuer quoi que ce soit. Mais ça ne m’empêche pas de te voir.
Je ferme brièvement les yeux, incapable de retenir mes larmes.
Il s’approche encore, réduisant l’espace entre nos corps comme si cette distance le brûlait.
— Regarde-moi, dit-il en prenant doucement ma nuque, m’obligeant à relever le visage vers le sien.
Je le fais, malgré mes doutes.
Son regard azur est si intense qu’il me transperce.
— Je t’ai déjà vue dans tous les états possibles. Et rien, absolument rien, n’a changé la façon dont je te vois.
Sa main glisse lentement derrière ma nuque.
tendre, mais sa tenue est ferme, comme s’il refusait que je recule ou que je me dérobe.
— Tu aurais pu revenir avec des ailes noires, des flammes dans les yeux ou que sais-je encore, je m’en fous. Tu es toujours celle que je vois, celle que je reconnais, celle que je veux. Tu resteras toujours toi.
Il marque une pause.
— Ce que tu es devenue ne me fait pas changer d’avis. Ça ne m’éloigne pas. Ça ne me dérange pas.
Il inspire profondément.
— Et ça ne me fait pas honte non plus.
Son regard se plante dans le mien.
cette secte idiote maintenant.
Alors que des larmes dévalent mes joues, je laisse échapper un rire nerveux. Un sanglot silencieux m’échappe.
Ma peur se fissure et allège automatiquement mes épaules.
Et c’est là qu’il lâche totalement prise.
Il m’embrasse, sans retenue, sans prudence, d’un baiser profond qui porte toute la tension qu’il a accumulée en silence, toute la peur qu’il s’est interdite d’admettre, toute la colère d’avoir attendu trop longtemps. Ses doigts se crispent contre ma taille, son autre main glisse sur ma nuque pour m’attirer encore davantage, comme s’il voulait me sentir entièrement, comme s’il avait besoin de preuve.
Je m’accroche à lui, mes bras autour de sa nuque, mes doigts s’enfonçant dans ses cheveux. Son corps est contre le mien, solide, brûlant, vibrant d’une émotion qu’il tente encore de masquer mais qui le trahit dans chaque geste.
Quand il se détache, il ne recule pas.
Il reste contre moi, son front appuyé au mien, son souffle court contre mes lèvres.
— N’insinue plus jamais que je pourrais te regarder autrement, murmure-t-il, la voix basse, presque brisée.
Je sens ma poitrine se serrer douloureusement.
— J’ai eu peur… tellement peur que tu me rejettes…
Il ferme les yeux un instant, sa main glissant lentement dans mon dos, me maintenant contre lui avec une force qui ne tremble plus.
— Moi aussi, dit-il enfin, dans un murmure qu’il n’assume qu’à moitié. Que tu préfères rester avec eux. Et je déteste ça, alors ne me laisse plus vivre sans savoir si tu vas revenir.
Je tremble contre lui, bouleversée par cette confession qu’il aurait préféré cacher au monde entier.
— Je suis là, dis-je contre sa gorge. Et je reste.
Une longue respiration secoue son torse, comme si mes mots libéraient quelque chose de profond en lui.
Il me presse encore contre lui, son visage enfoui dans mes cheveux.
— Parfait, souffle-t-il finalement, d’une voix rugueuse mais sincère. Parce que je ne te laisse plus jamais repartir.
Et dans la manière dont il me serre, je comprends que c’est exactement ce qu’il veut dire.
68
Sept putains de longs jours se sont écoulés sans que je n’aie la moindre nouvelle. Dans toute ma satanée éternité, je ne me suis jamais inquiété pour qui que ce soit d’autre que moi, et pourtant, depuis qu’elle a brisé mon armure, je ne fais que ressentir ce sentiment insupportable pour elle.
La vérité, c’est que depuis qu’elle a disparu avec eux, je me répète les mêmes phrases en boucle, comme un abruti : Elle va revenir. Gabriel et Raphaël sont avec elle. Elle va revenir.
Mais derrière cette certitude que je m’impose, une peur plus sourde, plus vieille, plus viscérale rampe sous ma peau.
Une peur que je refuse d’admettre, même à moi-même.
La peur d’être abandonné encore, au profit d’autres.
La peur née de mon cœur pourri, incapable d’agir comme les autres le souhaitent.
La peur qu’elle ne revienne pas.
La peur qu’elle reste avec eux.
qu’elle se sente enfin à sa place parmi ces immortels auxquels je n’appartiens plus.
Oh bordel…
Je déteste cette sensation.
Je déteste cet aveu intérieur.
Et pourtant, il s’accroche, comme un poison.
La peur est probablement l’émotion que je hais le plus avoir retrouvée. J’ai toujours incarné la peur, moi, pas celui qui la subit. Comme la plupart des humains, d’ailleurs, à qui je m’amusais à l’insuffler. J’avoue qu’ils me fascinent en partie pour ça.
Plus le temps passe, plus le doute s’insinue, me ronge, me murmurant qu’elle pourrait avoir changé d’avis. Je ne devrais même pas penser à ça. Et pourtant… impossible de l’empêcher.
Je m’approche de mon bureau pour me servir un verre quand mes oreilles captent des voix provenant de l’entrée.
qu’eux.
Est-elle de retour ?
Elle est revenue te faire ses adieux.
Ferme-la, saleté de voix. Tu ne ressors que parce que certaines émotions incontrôlées ont décidé de refaire surface…
Je me ravise, me redresse, et je m’assois sur l’arête du meuble au moment où la porte s’ouvre.
Je relève la tête.
Et tout ce que j’avais tenté de me mettre dans le crâne
Fallon est là.
Vivante.
Debout devant moi, avec ce mélange de force et de fragilité qui me renverse à chaque fois.
Elle se tient dans l’embrasure de la porte, droite, les yeux brillants, et je remarque immédiatement ce qui a changé : sa respiration tellement fluide qu’elle en est presque silencieuse, la précision surnaturelle dans sa posture, l’assurance nouvelle dans sa manière de se tenir. Je vois l’immortalité dans chacun de ses mouvements, dans l’aura qui émane d’elle, dans la façon dont elle me regarde.
Mais je vois aussi tout ce qui n’a pas bougé d’un millimètre : son regard, la façon dont elle se prépare à encaisser ma réaction, la manière dont elle hésite encore avant de faire le moindre pas.
La mâchoire contractée au point de me casser les dents, je me fige un instant devant sa beauté et la prestance qu’elle dégage malgré la peur qui la ronge.
Mais pourquoi aurait-elle peur ? De moi ? Nous avions dépassé cette étape, non ?
exactement ce que tu redoutes…
Non. Je sens que ce n’est pas ça. C’est autre chose.
réfléchir davantage, je m’approche. Si je la laisse dans cette hésitation une seule seconde de plus, elle va se torturer inutilement. Je marche vers elle d’un pas continu, sans m’arrêter, sans me demander si je vais trop vite, parce que maintenant qu’elle est là, la seule chose qui compte, c’est de la retrouver.
Quand je suis suffisamment près, je pose ma main sur sa joue.
Sa peau est chaude, vibrante d’une énergie nouvelle, mais elle est toujours Fallon.
Je sens son souffle tressaillir sous mon contact et je glisse mon autre main dans son dos, juste au creux de ses reins, la rapprochant de moi jusqu’à sentir son corps contre le mien.
— Fallon…, soufflé-je, incapable de la quitter des yeux.
Ses prunelles brillent, comme si elles retenaient une vérité douloureuse.
— J’ai peut-être changée mais je reste la même, murmure-t-elle, comme si elle devait se justifier.
peur que je la voie autrement.
Saloperie de voix intérieure, tu étais complètement à côté de la plaque.
Mais ça ne me heurte pas moins.
Comment peut-elle croire, ne serait-ce qu’une seconde, que ma façon de la voir pourrait changer ?
— Je sais, je réponds sans adoucir le moindre mot. Mais ça ne m’empêche pas de te voir.
Elle ferme les yeux et des larmes s’en échappent, libérées après être restées prisonnières trop longtemps.
Ma main sur sa joue intercepte certaines d’entre elles.
Je me rapproche encore.
— Regarde-moi, dis-je en passant ma main derrière sa nuque, l’obligeant doucement à relever son doux visage.
Quand elle ouvre les yeux, son regard émeraude – celui qui m’avait manqué plus que je ne veux l’admettre – transperce directement ce qu’il reste de mon âme pourrie.
— Je t’ai déjà vue dans tous les états possibles. Et rien, absolument rien, n’a changé la façon dont je te vois.
l’Enfer surgissent — sa tête roulant sur le sol, son corps ravagé dans la salle de torture, son visage couvert de larmes lorsque je lui ai dit que je voulais lui effacer la mémoire.
Putain. Pas maintenant.
— Tu aurais pu revenir avec des ailes noires, des flammes dans les yeux ou je ne sais quoi encore, je m’en moque. Tu es toujours celle que je vois, celle que je reconnais, celle que je veux. Tu resteras toujours toi.
Je ne la lâche pas du regard.
rien, absolument rien, de ce qu’elle est devenue ne peut me faire la rejeter. Jamais.
— Ce que tu es devenue ne me fait pas changer d’avis. Ça ne m’éloigne pas. Ça ne me dérange pas.
Je prends une profonde inspiration.
— Et ça ne me fait pas honte non plus.
Comment pourrais-je avoir honte d’elle ? C’est avec elle que je vais passer mon éternité.
— Même si tu fais partie de cette secte maintenant.
Un petit rire brisé glisse entre ses lèvres, et je sens son corps se détendre sous mes doigts.
Je n’ai jamais trouvé une femme aussi belle. Et pourtant, Diable sait que j’en ai vu durant ma trop longue éternité. Mais aucune n’a jamais atteint ce qu’elle touche en moi.
La toucher, l’entendre, l’admirer m’avaient terriblement manqué.
Je ne peux plus attendre.
Sans la moindre retenue, je l’embrasse.
Ce baiser n’a rien de doux. Il est urgent, affamé, viscéral. Je sens ses mains se crisper contre moi, et la mienne se resserre sur sa taille tandis que l’autre glisse sur sa nuque pour l’attirer davantage. Je veux la sentir entièrement, je veux ancrer sa présence dans chaque parcelle de mon corps. Sa bouche répond à la mienne avec une intensité qui me renverse, comme si ces sept jours avaient été une éternité.
Ses bras s’enroulent autour de ma nuque, ses doigts s’enfoncent dans mes cheveux noirs, et nos corps se pressent l’un contre l’autre, comme s’ils avaient été séparés trop longtemps.
Je pourrais la perdre dans ce baiser.
Je pourrais l’emmener plus loin, là où le reste du monde cesserait d’exister.
Mais je veux la rassurer avant tout.
À contrecœur, je m’arrache à ses lèvres et pose mon front contre le sien. Nos souffles se mélangent, se confondent.
— N’insinue plus jamais que je pourrais te regarder autrement, je murmure, la voix rauque.
— J’ai eu peur… tellement peur que tu me rejettes…
Ce sentiment, je commence à trop bien le connaître. Et je le hais. Mais je ne peux pas lui mentir, pas maintenant.
— Moi aussi, je souffle. Que tu préfères rester avec eux. Et je déteste ça, alors ne me laisse plus vivre sans savoir si tu vas revenir.
Elle sait que cet aveu me coûte.
J’ai toujours été celui qui inspirait la peur, pas celui qui la ressentait.
— Je suis là, murmure-t-elle. Et je reste.
Je me rends compte seulement maintenant que mon corps était tendu, quand mes épaules s’allègent enfin.
Elle n’imagine même pas l’impact de ces mots.
Je resserre mes bras autour d’elle et enfouis mon visage dans sa chevelure rousse.
— Parfait, lâché-je dans un souffle. Parce que je ne te laisse plus jamais repartir.
Je reste là encore un instant, le visage enfoui dans ses cheveux, à savourer la simple réalité de sa présence contre moi. Mon corps, tendu depuis une semaine, commence enfin à se relâcher, comme si chaque muscle acceptait de croire qu’elle est réellement revenue.
Sous ma paume, au creux de ses reins, je sens une nouvelle énergie vibrer, cette immortalité qui la traverse désormais et qui scelle définitivement ce que je refusais d’admettre jusqu’ici.
Ça fait des jours que je tourne la même idée dans ma tête, que je la chasse, que je la rappelle, que je la maudis autant que je la désire. Une idée complètement déraisonnable pour quelqu’un comme moi… mais que je n’ai pourtant pas cessé d’examiner sous tous les angles. Maintenant qu’elle est là, qu’elle a choisi de rester, qu’elle a choisi moi en connaissance de cause, je sais que je n’ai plus aucune excuse.
Je desserre mon étreinte, recule juste assez pour croiser son regard. Et cette fois, au lieu de me taire, je laisse enfin cette décision mûrie, pesée, assumée franchir mes lèvres.
69
— Maintenant que tu es devenue immortelle, on devrait se marier.
Je reste figée.
Ses mots claquent dans l’air, se répercutent contre les murs, contre ma poitrine, contre les parois de mon cœur qui bat la chamade.
Je le fixe, les yeux écarquillés, incapable de savoir s’il plaisante ou non.
— Pardon ? Tu as bien dit… se marier ?
Il hoche simplement la tête, le regard tranquille, presque sérieux, comme si c’était la conclusion la plus logique au monde.
— Mais… tu m’as dit que tu ne voulais pas en entendre parler.
Un rire nerveux m’échappe.
Si quelqu’un ne faisait que parler de mariage ici, c’est bien moi. Ce n’est pas faute de lui avoir proposé — à maintes reprises, même. Et sa réponse revenait invariablement, comme un couperet : « Hors de question que je me marie devant LUI. Nous n’avons pas besoin de ça pour nous aimer. » Je pourrais la réciter les yeux fermés.
Et maintenant, il me sort ça.
Calmement.
Comme si ce n’était pas tout mon monde qui basculait.
repense à tout ce qui vient de s’enchaîner : devenir immortelle, accepter de devenir traqueuse, affronter l’Enfer, croire l’avoir perdu, avoir peur qu’il ne veuille plus de moi… et le retrouver.
Mon cœur n’a pas cessé de monter, descendre, se tordre, se relâcher. C’est un ascenseur émotionnel sans fin. Mais cette fois, ce n’est plus douloureux. C’est juste… intense. Trop fort. Trop beau.
— Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ? je demande doucement, la gorge serrée.
Son sourcil droit se soulève au même moment que la commissure droite de ses lèvres.
— Toi.
Mais il fissure tout ce qui restait de mes défenses.
Je reste là, le cœur battant à tout rompre.
Je m’avance, pose une main contre sa joue. Sa peau est chaude, stable, presque brûlante, comme si tout ce qu’il est se concentrait sous mes doigts.
— Tu sais… on n’a pas besoin de ça pour prouver quoi que ce soit, je murmure. Tu n’as pas à changer d’avis juste pour me faire plaisir.
Je refuse l’idée qu’il s’oblige à quelque chose qu’il a toujours refusé, uniquement parce que j’ai trop insisté.
Je refuse qu’il se sacrifie sur ce terrain-là.
Je détourne le regard et me tourne vers la baie vitrée.
Dehors, le ciel nocturne s’étire, infini, constellé d’étoiles. Mon reflet tremble dans la vitre, mêlé au sien derrière moi — lui, grand, sombre, immobile, comme un pilier au milieu de la tempête.
J’ouvre la bouche pour dire quelque chose — je ne sais même pas quoi — mais lorsque je me retourne, mon souffle se bloque.
Lucifer est à genoux.
Un genou posé sur le marbre noir, le dos droit, la tête légèrement relevée vers moi.
Dans sa main ouverte, une petite boîte en velour rouge.
À l’intérieur, deux anneaux en argent.
Le métal est veiné de filaments sombres, presque noirs, traversés de fines lueurs rougeoyantes qui semblent vibrer au ralenti, comme un cœur endormi. De minuscules éclats dorés affleurent à la surface, comme si des braises couvaient encore à l’intérieur. Même à distance, j’ai l’impression de sentir une chaleur diffuse émaner des anneaux.
Je le sais sans qu’il ait besoin de le dire : ces bagues ont été forgées dans le feu de l’Enfer, dans son royaume. Même s’il n’a plus le droit de le gouverné, l’Enfer restera toujours son monde à lui.
Et il me tend ça, à moi.
— Je suis prêt, dit-il simplement. Marions-nous.
Je reste bouche bée.
Mon souffle se coupe. Mon cœur s’emballe, cogne contre ma cage thoracique comme s’il voulait s’échapper.
Une chaleur douce me submerge, m’envahit, remonte jusqu’à mes yeux qui se remplissent instantanément de larmes. Bon sang, je vais finir par croire que le supplément larmoyant est dans le package « immortalité ».
— Maintenant ? je parviens à souffler, la voix tremblante.
— Maintenant.
La réponse ne vient pas de lui.
Je sursaute et me retourne brusquement.
Gabriel se tient dans l’encadrement de la porte, les bras croisés, un sourire malicieux accroché aux lèvres. Ses yeux pétillent de ce mélange d’impertinence et de tendresse qui lui est propre.
— Quelqu’un doit bien faire office de témoin, non ?
Je ris malgré moi, un rire secoué, brisé par l’émotion.
Je ne sais plus si j’ai envie de pleurer ou de rire, alors je fais les deux.
Lucifer, lui, lève les yeux au ciel avec un soupir appuyé.
— Évidemment… je ne pouvais pas espérer un moment parfait sans qu’il s’en mêle.
— Hé, je rends service, réplique Gabriel en riant. Continue avant que je change d’avis.
Je le connais assez pour savoir qu’il ne partirait pour rien au monde.
Lucifer reporte son attention sur moi, effaçant le reste.
Dans son regard, il n’y a plus rien du Diable. Plus rien du Seigneur des Enfers.
Seulement lui. L’homme qui m’a tout donné et tout pris, et que j’ai choisi malgré tout.
— Si tu veux bien, dit-il, un sourire au bord des lèvres, j’aimerais éviter de rester agenouillé éternellement.
Je ris entre deux sanglots. Les larmes roulent librement sur mes joues, brûlantes, mais elles ne me pèsent plus.
— Oui, je souffle. Oui, bien sûr que je veux me marier avec toi.
Il se relève lentement, comme si chaque geste comptait.
Lorsqu’il prend ma main, sa paume est chaude, rassurante, et j’ai la sensation de retrouver un point fixe dans tout ce qui bouge autour de moi.
Il saisit le premier anneau, celui qui m’est destiné.
De près, je distingue chaque détail : les veines sombres, les lueurs rouges, les fines gravures à peine visibles qui serpentent sur le métal — des marques, des symboles anciens que je ne comprends pas, mais qui vibrent d’une magie dense.
Quand il glisse l’anneau à mon doigt, la chaleur se propage immédiatement. Elle remonte le long de ma main, de mon bras, jusqu’à ma poitrine.
La magie coule en moi, reconnaissable et pourtant différente : plus intime, plus profonde.
Comme si l’Enfer lui-même m’acceptait — non pas comme une ennemie, ni même comme une invitée, mais comme quelqu’un qui en porte désormais une part.
Je laisse échapper un souffle tremblant.
Je prends ensuite l’autre bague.
Elle est plus large, plus lourde, marquée des mêmes veines et des mêmes gravures, mais les lueurs rouges semblent y être un peu plus vives, comme un feu retenu de justesse. Quand je la tiens, mes doigts picotent, comme si le métal réagissait à mon énergie.
Je la passe lentement à son doigt.
Au contact de sa peau, une décharge chaude remonte dans mon bras à moi, remontant jusqu’à ma poitrine.Comme si nos magies se cherchaient, se frôlaient, se reconnaissaient enfin.
Gabriel, en retrait, observe sans un mot. Son sourire s’adoucit, perd sa malice habituelle. Dans son regard, je lis une tendresse réelle, presque une fierté.
— Eh bien, souffle-t-il, c’est officiel. Mariés. Sans prêtre. Sans foule. Juste vous deux… et moi, accessoirement.
Je ris à travers mes larmes, incapable de formuler une réponse.
Lucifer pose sa main contre ma joue, son pouce effleurant ma peau avec une délicatesse qui me surprendra toujours venant de lui.
— Juste nous, murmure-t-il.
— Seulement nous, je répète, la voix brisée mais sûre.
soudain, une lueur dorée et chaude commence à jaillir de nos mains jointes, là où ses doigts enlacent les miens. La lumière se glisse entre nos paumes, remonte le long de nos poignets, se déploie sur nos bras, puis sur nos torses, nos épaules, nos visages.
Elle coule sur nos peaux comme un liquide lumineux, se mêlant parfois à des reflets plus sombres, rougeoyants, comme si l’Enfer apportait sa propre nuance à cette clarté.
En quelques secondes, nous sommes enveloppés dans un halo doré, vibrant.
La pièce entière se baigne dans cette lumière douce mais puissante, presque irréelle.
Je ferme les yeux, incapable de soutenir ce trop-plein, et je sens la chaleur glisser sur ma peau comme une caresse.
Je sais que je brille. Que nous brillons.
Sous mes paupières closes, je vois encore des traînées de lumière.
Sous celles, écarquillées, de Gabriel, je sais que le spectacle est total.
Je l’entends inspirer brusquement, puis souffler, d’une voix ébranlée :
— Par tous les Cieux…
Il reste un instant sans voix, puis reprend, abasourdi :
— Ça… ça ne s’est pas produit depuis Adam et Ève.
Lucifer se détache un peu de moi, juste assez pour tourner la tête vers son frère, sans lâcher ma main. La lumière continue de jaillir de nos paumes entrelacées, comme une source inépuisable.
Les deux hommes se regardent, se comprennent, ce qui n’ai pas mon cas.
Gabriel s’avance d’un pas, ses yeux rivés sur nos mains jointes, d’où continue de rayonner ce halo doré mêlé de reflets rouge profond.
— L’Amia-Gemella, dit-il enfin. L’amour pur. L’union des âmes originelles. Celle qui transcende la chair, le temps… même l’immortalité. Celle qui ne s’est produit qu’une seule fois.
Je sens mon cœur se serrer et s’élargir en même temps.
lumière continue de pulser entre nos doigts, comme un cœur commun.
Lucifer baisse les yeux vers moi.
Son regard est d’une douceur que je ne lui ai vue que rarement.
— Donc, résume-t-il, on vient de lier… ça, à nous.
Il désigne vaguement la lumière entre nos mains.
Gabriel laisse échapper un rire soufflé, secoué d’émotion.
— Vous venez de lier vos deux âmes de façon définitive. Ce n’est plus un pacte, ni un simple mariage. Vos essences se répondent. Ce que l’un ressent, l’autre le ressentira. Ce que l’un est, l’autre le portera aussi. Même le Ciel et l’Enfer ne pourront plus vous séparer.
La lumière commence doucement à décroître, non pas en s’éteignant, mais en se concentrant.
nos mains, comme une braise vivante.
Puis elle se calme, jusqu’à devenir une lueur discrète, juste sous la peau, que je continue malgré tout à percevoir, à sentir vibrer.Nos bagues, elles, semblent avoir absorbé une partie de cette énergie : elles scintillent doucement, comme si elles gardaient mémoire de ce qui vient de se produire. Mais je sais que la vraie source est ailleurs. Dans nos corps.
Lucifer reprend la parole, plus bas, plus grave.
— J’ai connu la guerre, la rébellion, la chute, la damnation, dit-il. J’ai traversé des millénaires en étant persuadé que rien ne durait jamais. Et pourtant… te voilà.
Il m’attire contre lui, sa main quittant brièvement la mienne pour venir se poser sur ma nuque, puis revient enlacer mes doigts, comme s’il refusait désormais de rompre ce point de contact.
— Si c’est ça, l’éternité, continue-t-il doucement, alors je veux bien la revivre encore et encore. À une seule condition : que ce soit avec toi.
Et alors il m’embrasse.
Pas un simple baiser.
Un baiser qui contient tout : la chute, l’Enfer, les pactes, les peurs, la rage, la tendresse, la promesse.
Un baiser qui goûte le feu et l’éternité, la délivrance et la certitude.
Ses bras se referment autour de moi, me plaquent contre lui, et je me sens à la fois minuscule et infinie.
Je sens la force de son immortalité, la fragilité de son cœur battant contre le mien comme s’il craignait encore que je m’évapore.
Gabriel les regarde, les bras croisés, mais son expression n’a plus rien de moqueur.
— Vous venez de créer quelque chose que même les anges ne voient jamais, souffle-t-il. L’Amia-Gemella… deux âmes immortelles fusionnées à jamais. L’amour pur. Celui qui survivrait même à la fin de tout.
Lucifer esquisse un sourire.
— Je suppose qu’on vient d’offrir un beau scandale.
— Tu n’as pas idée, réplique Gabriel, mi-amusé, mi-ému. Bon. Maintenant que c’est fait, je peux aller annoncer à Raphaël qu’il a raté le mariage du siècle ?
Lucifer rit, un vrai rire, rare, profond.
— Et dis-lui que je ne recommencerai pas pour lui. Pas même s’il venait à remonter le temps.
Gabriel esquisse un sourire en coin.
— On n’en demanderait pas autant de ta part.
Puis il me fait un clin d’œil, avant de disparaitre dans une traînée de lumière.
Je reste là, les doigts entrelacés à ceux de mon mari.
Mon mari.
Je baisse les yeux vers nos mains.
La lumière n’est plus visible, mais je la sens, tapie, tranquille, à l’intérieur de nos corps, dans la sien, entre nos mains jointes.
Les bagues forgées dans le feu de l’Enfer scintillent faiblement, comme si elles respiraient à notre rythme.
Je n’ai jamais eu besoin d’une robe blanche ni d’une cérémonie grandiose.
Seulement de lui et de cet amour qui, désormais, défie aussi bien le Ciel que l’Enfer.
Premier chapitre de
"Destinés"
Ce chapitre aborde des sujets susceptibles de heurter la sensibilité de certain·e·s, notamment : idées suicidaires, tentative de suicide, détresse psychologique, sentiment d’abandon et de solitude
Si ces thématiques te mettent mal à l’aise ou te touchent personnellement, je t’invite à lire avec précaution ou à ne pas lire la suite. Ton bien-être passe avant tout. 🤍
1
La vérité, c’est que je n’ai jamais été le premier choix de qui que ce soit.
C’est une phrase qui s’est glissée en moi doucement, au fil des années, jusqu’à devenir une certitude. Presque une habitude.
Je ne me souviens pas du moment exact où j’ai compris que je passerais ma vie dans l’ombre des autres. Je me souviens seulement d’un lent effacement. D’une invisibilité qui s’installe sans prévenir, comme une lumière qui s’éteint sans bruit.
J’ai grandi en pensant que si je donnais assez, si j’aimais plus fort, si je faisais tout bien, quelqu’un finirait par me voir. Par m’aimer plus qu’une autre personne. Que je deviendrais, enfin, un premier choix.
Mais on ne remarque pas les âmes discrètes. On aime les voix fortes, les rires qui prennent toute la place, les présences qui brillent. Et moi… je n’ai jamais su briller autrement qu’en silence.
On dit que la solitude tue lentement.
En vérité, je crois qu’elle n’ôte pas la vie : elle l’éteint. Elle arrache, petit à petit, tout ce qui faisait battre un cœur.
Au début, on pense que ce n’est qu’une mauvaise période. Puis les jours se répètent, les visages passent, sans jamais s’attarder sur vous. Les conversations deviennent mécaniques, les sourires des réflexes.
Et on finit par se demander à quoi bon continuer à respirer, si personne ne remarque qu’on le fait encore.
Ce soir, j’ai arrêté de me mentir.
Je suis venue ici sans plan, sans drame, sans lettre d’adieu. De toute façon, personne ne l’aurait lue.
Le pont sur lequel je passais quand j’allais travailler est là, immense, silencieux, comme un secret entre moi et le monde. Il m’attend.
La nuit est avancée. J’approche de la rambarde et l’attrape sans réfléchir. Le métal glacé sous mes paumes ne m’arrête pas.
Comme si j’avais déjà fait ça mille fois, je passe mes jambes par-dessus la barrière et pose mes pieds sur le rebord en béton.
Les yeux fermés, je sens le vent froid glisser contre ma peau et l’eau, en contrebas, me murmurer des promesses d’apaisement.
C’est étrange, la paix que je ressens.
Pas de panique, pas de remords. Juste cette fatigue immense, celle qu’on porte trop longtemps, celle qu’aucun sommeil n’efface.
Sauter mettra fin à tout : aux attentes des autres, à mes efforts invisibles, aux blessures accumulées.
Je ne serai plus “celle qu’on oublie”, plus le second choix.
Je ne serai plus rien — et c’est précisément ce que je désire.
Je m’imagine disparaître sans bruit, comme une flamme trop fatiguée pour lutter.
Et puis, au moment où je m’apprête à lâcher prise, une voix perce le silence.
— Mademoiselle ?
Le mot, fragile, traverse le brouhaha de mes pensées.
Je ne réponds pas.
— Mademoiselle, répète-t-il.
— Quoi ? dis-je d’une voix tremblante.
sont baignées de larmes.
regarde, les sourcils froncés.
Ses yeux d’un bleu particulier me sondent.
— Je ne sais pas ce qui vous pousse à faire ça, dit-il, mais vous ne devriez pas.
Il avance d’un pas, main levée dans ma direction.
— Si j’étais à votre place, je ne le ferais pas.
— Oui, eh bien, vous ne l’êtes pas. Alors passez votre chemin.
La rivière répond d’un clapotis sourd, approuvant presque ma requête.
L’inconnu porte quelque chose dans le regard qui me désarçonne : pas de pitié dramatique, pas d’horreur outrée par ce que je m’apprête à faire. Non. Juste une curiosité obstinée. Comme si je n’étais pas une silhouette de plus dans la nuit, mais une phrase mal finie qu’il veut absolument lire avant le point final.
— Je ne partirai pas tant que vous ne serez pas en sécurité, dit-il doucement.
— Vous n’avez pas besoin de jouer le rôle du sauveur. Partez, s’il vous plaît.
Ma voix se brise sur les derniers mots, comme si le supplier de me laisser me coûter plus que de raison.— Pensez à ceux qui vous
aiment.
Un rire amer m’échappe.
— « Ça ira mieux », « Pensez aux autres », « On peut vous aider »… Ces phrases sont bonnes pour meubler des silences, pas pour sauver des vies. Et sûrement pas la mienne. Et puis, croyez-moi, c’est un cadeau que je leur fais.
Il inspire longuement. Ses yeux quittent les miens quelques secondes, juste assez pour regarder le pont, le métal usé, la peinture écaillée.
— Je m’appelle Gabriel, dit-il finalement.
Dans d’autres circonstances, je lui aurais dit mon prénom en retour, mais là, c’est le cadet de mes soucis qu’il sache comment je m’appelle. Dans quelques minutes, ça n’aura plus d’importance.
Il avance encore, sans brusquerie.
— Pourquoi êtes-vous là ? demande-t-il.
Cette question simple me transperce, car la réponse, elle, est beaucoup plus compliquée. Parce qu’elle possède mille et une facettes : une éducation ratée, un travail manqué, des amies infidèles ou encore un cœur brisé.
Je n’ai pas envie de raconter mon histoire. Car celles comme la mienne, où la souffrance prend trop de place, finissent toujours par réduire les gens à deux colonnes : cause/effet et coupable/victime. Je ne veux pas être dans l’une d’entre elles.
Gabriel hoche la tête, comme si cela suffisait pour l’instant, acceptant ma non-réponse sans me brusquer.
La lumière du lampadaire se reflète sur sa chevelure blonde et éclaire à moitié son visage pâle. Je ne peux pas prétendre le contraire : il est vraiment très beau. Typiquement mon genre d’homme. Mais même si nous nous étions rencontrés dans d’autres circonstances, nous ne nous serions probablement jamais adressé la parole ; mon caractère inexistant en aurait été la cause.
— Je n’ai pas de meilleure raison qu’un mauvais vendredi. Je suis juste fatiguée de vivre, finis-je par dire après avoir dégluti péniblement.
La fameuse boule qui alourdit mon estomac dès que la situation m’échappe (c’est-à-dire pratiquement tout le temps) ne cesse de grandir.
Il pose sa main sur la rambarde, à côté de la mienne.
— Je ne connais rien de vous, répète-t-il. Ni vos douleurs, ni vos raisons. Mais je sais écouter ceux qui ne veulent pas parler. Si vous voulez crier, criez. Si vous voulez vous taire, taisez-vous. Je reste.
Il n’offre pas de solution. Il ne dit pas que tout ira mieux demain. Il ne me promet pas la lune. Et pour une raison que j’ignore, c’est presque pire que n’importe quelle promesse à deux balles : parce que rester, implique du temps, du poids, de l’obligation, d’écouter encore demain. Ce que personne n’a jamais fait pour moi en trente et un ans de vie. Pas même ma propre famille.
Je laisse mes mains glisser de la rambarde.
Les doigts de Gabriel sont maintenant à quelques centimètres des miens.
— Pourquoi resteriez-vous ? soufflé-je.
— Parce que parfois, quand on croit être à la fin… on est juste au tournant d’une histoire qu’on n’a pas encore lue, répond-il. Et quelqu’un doit rester pour lire la suite avec vous.
Sa voix n’est pas pleine d’illusions. Elle est faite d’une simplicité qui me semble dangereusement proche de l’espoir.
Je déteste qu’il soit si persistant.
Je déteste qu’il n’ait pas fui.
Je déteste que, pour la première fois depuis longtemps, l’idée de descendre du parapet me traverse l’esprit comme un choix possible plutôt que comme un renoncement inévitable.
Sans savoir d’où ça vient, un profond soulagement, venu de mes entrailles, m’inonde. Comme si je n’avais plus aucune raison de me retrouver ici, et que la vie en valait finalement vraiment la peine.
Tu dérailles complètement, ma pauvre.
— Allez, prenez ma main.
Mes yeux font des allers-retours entre la main qu’il me tend et l’eau en contrebas.
— Si je descends… qu’est-ce qui se passera ensuite ?
Parce que descendre ne changera pas ce qui m’attend. Ou ce qui ne m’attend plus.
Et je ne suis plus sûre de vouloir cette vie-là.
Gabriel laisse un bref silence s’installer, puis sa voix revient, posée, précise, comme s’il voulait me parler sans détour.
— Il se passera que votre vie continuera d’avancer, parce qu’elle ne s’arrête pas à ce que vous traversez aujourd’hui. Même si vous ne voyez aucune direction possible pour l’instant, il y aura des jours moins lourds, des décisions plus simples, des pensées plus claires, et la possibilité de vous sentir différente de ce que vous ressentez ce soir. Rien n’est figé, même si vous en avez l’impression. Vous pouvez même devenir celle que vous voulez.
Ses mots résonnent dans ma tête remplie d’idées noires.
Je fixe encore sa main. Elle reste tendue vers moi, immobile, patiente. Je n’arrive pas à savoir si je veux la saisir ou la repousser.
Je sais seulement que je n’arrive plus à rester là, sur ce rebord, sans bouger.
Je prends une inspiration mal maîtrisée, puis commence à pivoter pour prendre sa main, encore hésitante, mais prête à faire ce mouvement qui me semblait impossible quelques minutes plus tôt. Mais ce pont en a décidé autrement : mon pied glisse sans prévenir sur le rebord humide, me faisant perdre l’équilibre. Mon corps bascule vers le vide et un réflexe de panique me traverse tout entière. Je tends la main vers quelque chose, n’importe quoi, mais mes doigts n’accrochent que l’air froid de la nuit.
Je n’ai pas le temps de comprendre ce qu’il se passe. L’instant suivant, une force me saisit par la taille, ferme et précise, et me ramène contre une surface solide. Je me retrouve contre la rambarde intérieure, plaquée dos à elle, solidement maintenue par les bras de Gabriel.
Je respire fort, incapable de retrouver mon souffle. Il ne tremble pas, ne semble pas surpris par ce qui vient de se passer.
Ses mains me tiennent toujours, pour ne pas que je tombe.
Je déglutis avec difficulté, la gorge serrée par la peur et par le choc de ce qui vient de se produire. Mes jambes tremblent au point que je n’ose pas tenter de me tenir seule. Il garde son bras autour de moi, sans me lâcher trop vite, comme s’il savait exactement ce dont j’avais besoin pour ne pas m’effondrer.
Je réalise que ce Gabriel est beaucoup plus grand que moi lorsqu’il baisse la tête pour me regarder. Son regard empli de compassion me fait oublier le reste et ce qui vient de se passer.
Cette sensation de soulagement soudain revient au galop. Plutôt que de faire une crise de panique comme je l’aurais fait dans de telles circonstances, je me sens apaisée.
Qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez moi ?
— C’est fini, dit-il simplement. Vous êtes en sécurité.
Je cherche mes mots, mais rien ne sort. Je ne comprends pas ce qu’il vient de se passer, ni pourquoi je me sens ainsi alors que j’étais en train de tomber. Je ne comprends rien, sauf que je suis encore là, de ce côté du pont.
Il me laisse quelques secondes avant de relâcher un peu son étreinte, mais pas complètement.
— Comment vous appelez-vous ?
Je le regarde, hagarde. Le temps de quelques secondes, je ne sais plus quoi lui répondre. J’ai cette impression que lui donner mon prénom va changer la nature de notre rencontre.
Finalement, il n’y a aucun mal à ce qu’il sache mon prénom. Je connais le sien, après tout.
— Steffy. Je m’appelle Steffy Grayson.
— Je ne sais pas quelle est l’origine de votre mal-être, Steffy, mais sachez que vous n’allez pas regretter d’être toujours en vie.
Impossible de lui avouer ce qui m’a poussée à commettre l’irréparable.
Je remarque alors que ses yeux, que je trouvais d’un bleu particulier, sont finalement — rectification — d’un bleu iridescent, parsemés de paillettes d’or. Comme si j’avais face à moi deux billes qui renfermeraient un océan sur lequel se refléterait le soleil…
Je réalise que mon cerveau divague complètement quand je sens une pression sur mes avant-bras.
Les lèvres de Gabriel remuent sans que je fasse attention à ce qu’il dit.
— Quoi ? balbutié-je.
— Où habitez-vous ? Je vais vous raccompagner chez vous.
Les trois derniers mots me giflent en plein visage.
RENTRER. CHEZ. MOI.
Comment y retourner alors que je croyais ne plus jamais le faire, d’en être enfin libérée ?!
— Je… je…
La suite de ma phrase reste bloquée dans ma gorge.
Aucun son ne sort. Ma gorge se serre, comme si le simple mot “chez moi” suffisait à m’étouffer. Une brûlure me monte derrière les yeux, un début de panique… qui, bizarrement, ne va pas jusqu’au bout. Un reste d’apaisement inexplicable me retient, comme une main invisible posée sur ma poitrine.
Gabriel s’immobilise. Il ne répète pas sa question. Il attend.
Je fixe un point flou quelque part au-dessus de son épaule. Je n’ai plus d’endroit où aller. Plus de refuge. Plus rien qui ressemble à un “chez moi” — pas ce soir, pas dans cet état. Je ne veux pas être seule. Je ne veux pas retourner là-bas. Je ne veux pas sentir ce silence me refermer dessus.
Les mots sortent sans que je les décide vraiment :
— Vous… vous habitez loin ?
Gabriel relève légèrement la tête.
— Dix minutes, répond-il.
Je pince mes lèvres pour empêcher ma voix de trembler.
Je ne sais pas ce que je fais.
Je sais juste ce que je ne peux pas faire. Rentrer chez moi en fait partie.
— Est-ce que… est-ce que je pourrais venir ? dis-je dans un souffle. Pas longtemps, j’vous le promets. Juste… un moment pour me remettre les idées au clair.
Qui fait ce genre de proposition à un homme fraîchement rencontré ? La réponse est simple: personne.
Mais quelque chose me pousse à avoir confiance en cet homme qui vient de me retenir et qui ne cesse de me regarder avec bienveillance et compassion.
Malgré tout, j’ai envie de disparaître après avoir parlé.
Mais Gabriel ne réagit pas comme les autres l’auraient fait. Il ne profite pas de malaise pour tourner la conversation à son avantage.
Il dit simplement :
— Bien sûr.
Un « bien sûr » sans lourdeur, sans sous-entendu, comme si c’était la chose la plus normale du monde.
Et s’il cachait bien son jeu ?
Il ajoute, d’une voix calme :
— Vous resterez le temps que vous voudrez. Une heure, dix minutes, toute la nuit… c’est vous qui voyez. Vous serez en sécurité, je vous le promets.
Je sens ce même soulagement étrange remonter, un peu plus fort.
Toujours incompréhensible.
Toujours hors de propos, mais juste assez pour que mes jambes cessent de trembler.
Je hoche la tête, minuscule mouvement, presque un battement.
— D’accord… soufflé-je.
Gabriel retire doucement ses mains de mes bras, sans rompre la proximité, et se décale juste assez pour m’inviter à marcher.
— On y va, Steffy ?
Je respire.
Je me sens encore instable.
Mais entre le vide derrière moi et ce pas-là…
Je choisis le pas.
Merci du fond du cœur d’avoir ouvert cette box et de vouloir vivre un peu plus de cette histoire.
Merci d’aimer Fallon, Lucifer et Gabriel au point de les suivre au-delà des chapitres.
Ces pages existent grâce à vous 🤍
Alors merci 💗